Contre vents et marais

Amor fati. Accepter sa destinée. Facile à dire quand on s’appelle Jacques Rougeaud, qu’on fait la pluie et le beau temps à la préfecture, qu’on tient les rênes de la Chambre d’Agriculture et qu’on empile les hectares comme d’autres bâtissent des empires. Après tout, personne ne mange la main qui vous nourrit. Enfin, ça c’était avant. Avant que les rivières ne s’assèchent, avant que l’on pisse du glyphosate et bien avant que la construction de dix-neuf bassines agricoles ne mette le feu aux eaux troubles du marais.
Amor fati. Le destin était parfois sans pitié et l’insubmersible Jacques Rougeaud avait bel et bien fini noyé dans une bassine, pauvre pécheur englouti sous ses innombrables péchés. Accident ? Suicide ? Meurtre ? Les gendarmes n’avaient pas pu trancher et comme la mort rend aussi aveugle que l’amour, la municipalité s’était empressée de rendre hommage à ce géant de la terre qui n’avait pourtant rien d’un damné. Raison de plus pour Léna Korzybski de reprendre l’enquête à zéro. Après tout, la journaliste avait suffisamment d’expérience pour savoir que toute guerre de l’eau draine dans son sillage des dommages qui n’ont rien de collatéraux.